Le 8 mars 2024, après plusieurs années de travail, le Conseil de l'Union européenne a adopté la directive du parlement Européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.
Cette directive, au delà de reverser la charge de preuve et faciliter les procédures de requalification en salariat de travailleurs de plateformes souhaitant faire la démarche, vise à encadrer le développement de l'économie de plateformes en Europe.
L'économie de plateformes est une économie basée principalement sur ce qu'on appelle la gestion algorithmique, où le pilotage des activités et la répartition des tâches est majoritairement réalisée par des algorithmes programmés.
Cette directive vient encadrer cette gestion algorithmique afin de mieux protéger et améliorer les conditions de travail et la protection sociale des travailleurs évoluant dans l'économie des plateformes. Pour vraiment comprendre ses implications et ses nuances, il est essentiel d'explorer tous les aspects de manière factuelle et détaillée.
Profil des travailleurs des plateformes et leurs souhaits majeurs
Les travailleurs des plateformes sont des travailleurs ayant le statut d'indépendant : ils créent une entreprise pour pouvoir exercer une activité sur les plateformes. Ce sont des sous traitants.
Majoritairement, ces travailleurs ont créé leur entreprise sous le régime de la micro entreprise, un régime simplifié qui nécessite moins de charges de travail pour gérer son entreprise mais avec un périmètre réduit, à l'instar des livreurs.
Par ailleurs, les chauffeurs VTC ayant davantage de charges déductibles, optent plus généralement pour un statut d entreprise individuelle ou de SARL EURL, même si le statut de micro-entreprise est également utilisé.
Le profil sociologique de ces travailleurs
Concernant la sociologie de ces travailleurs : le chercheur Hugo Bottom a réalisé une étude "L’ubérisation des quartiers populaires"
On peut y retenir :
- La proportion de livreurs résidant dans des quartiers prioritaires est cinq fois plus élevée que celle de l'ensemble des travailleurs.
- Le nombre de livreurs dans ces quartiers a été multiplié par sept entre 2019 et 2022.
- Dans les quartiers à forte concentration d'immigrés, le nombre de livreurs est quatre fois supérieur à celui des autres quartiers.
Les souhaits des travailleurs des plateformes
Contrairement aux discours médiatiques de représentants politiques Leurs souhaits et revendications premières sont extrêmement simples : être respectés dans leur indépendance et être rémunéré décemment.
Ces travailleurs ne décident pas, ne construisent pas leur rémunération et se la voiture imposée. MAIS ils souhaitent être indépendants, pas salariés. Contrairement au discours politique, la majorité se fiche du statut car ils comptent juste vivre décemment et être protégé et les autres veulent conserver leur indépendance.
Encart: Comment fonctionne la protection sociale d'un indépendant ?
Beaucoup d’argumentaires en faveur de la directive étaient le manque de protection sociale d’un travailleur, on va faire le point. Un indépendant cotise, qu’il soit en micro-entreprise ou au régime réel, il cotise, chaque mois ou chaque trimestre. En micro entreprise, c’est un % du chiffres d’affaires, 21,2% pour un livreur par exemple. En entreprise individuelle, ça dépend du montant de rémunération que se verse l’indépendant, et le taux de cotisation est d’environ 43% :
Grâce à ça, il cotise :
- A la securité sociale : maladie prévoyance déces
- A la retraite de base et retraite complémentaire
- Paye la CSG CRDS
—> Il valident donc des trimestres, des points à la retraite complémentaire, ils ont droit a des indemnités journalières en cas d’arrêt de travail / congé maternité paternité.
Cependant, ils ne cotisent pas et n'obtiennent donc pas de droits au chômage.
Ensuite, comme ce sont des entreprises, ce sont à eux de prévoir des dépenses supplémentaires pour :
- Leur mutuelle santé complémentaire
- Leur assurance Professionnelle (RC Pro)
- Leur prévoyance complémentaire en cas d’arret d’activité temporaire ou définitive.
Ces dépenses supplémentaires, évidemment elle sont liées à la rémunération / au chiffre d’affaires qu’ils réalisent. Si ils ne réalisent pas de CA suffisant, comment peuvent-ils financer ces produits.
Le sujet de départ, ce n’est pas la protection sociale, c’est la rémunération
La directive
1️⃣La question de la Présomption de Salariat.
Précision : Aujourd’hui, quand vous être dans un contrat d’intérim / CDD / CDI, vous êtes considéré comme être dans une relation de travail.
Quand vous êtes indépendant, vous êtes une entreprise liée à une autre entreprise ou à un particulier par une relation dites commerciale. C’est un contrat qui encadre votre relation.
Dans la directive, ce point est appeler la “Détermination correcte du statut professionnel” permet pour les travailleurs, de faciliter la mise en place de procédures juridiques pour demander à requalifier la relation dite commerciale en relation de travail : Pour cela, si un ou plusieurs travailleurs monte un dossier en justice pour demander la requalification de leur relation avec l’entreprise / plateforme, ce sera a la plateforme de fournir les éléments nécessaires pour prouver que ce n’était pas une relation de travail mais une relation contractuelle
La présomption de salariat : c’est à dire le fait de considérer par défaut que la relation entre le travailleur et la plateforme est une relation de travail, par sa construction, vient désormais imposer une contrainte forte sur les plateformes , les incitant à garantir de meilleures conditions de travail et à éviter les abus dans la gestion des travailleurs indépendants. Sinon elles seront condamnées et les contrats commerciaux requalifiés en contrats de travail.
2️⃣ Encadrement de la Gestion Algorithmique
La gestion algorithmique, au cœur de l'économie des plateformes, est désormais soumise à une transparence accrue et des règles de cadrage.
Les indépendants obtiennent désormais davantage de droits et de protection face aux manipulations potentielles des algorithmes et les décisions unilatérales des plateformes : ils retrouvent du pouvoir individuel et collectif.
Les décisions prises par des systèmes automatisés devront être évaluées régulièrement pour vérifier leur impact sur les travailleurs des plateformes, et ces évaluations doivent être réalisées par des êtres humains.
De plus, les travailleurs des plateformes ont désormais le droit d'obtenir des explications sur les décisions automatisées et de demander leur réexamen si nécessaire.
Un des éléments les plus intéressants est l’article 9 : Transparence sur les systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés. Cette section de la directive exige que les plateformes numériques fournissent des informations sur l'utilisation de systèmes automatisés de surveillance ou de prise de décision.
Cela veut dire que demain, les travailleurs des plateformes devront avoir d’avantage d’informations, notamment sur :
- Les algorithmes d’affectation des courses : qui sont des algo de prise de décision
- Les algorithmes de calcul de rémunération : qui sont également des prises de décisions
Voila actuellement les grands sujets autour de cette directive
➡ Quelles sont les prochaines étapes ?
Le gouvernement sera obligé de mettre en place un cadre légal plus fort concernant notamment les critères de requalification du contrat de travail.
A ce titre, avec Union Indépendants, nous défendons depuis le début le fait que la rémunération de ces travailleurs indépendants des plateformes NE PEUT PAS ÊTRE décidée uniquement par les plateformes mais avec les indépendants ou leurs représentants.
Elle prendra alors enfin en considération le financement de la protection sociale de ces indépendants.
Meilleure rémunération = meilleure CA = plus de cotisations sociales = plus de protection.
Egalement, le dialogue social entre plateformes et syndicats au sein de l'ARPE - Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi rentrera dans une déclinaison plus poussée, encadrant notamment la transparence des algorithmes.
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