Rémunération des Livreurs : L'historique des négociations

06 février 2024

Le secteur de livraison de repas a démarré en France en 2014 et si sa croissance n’a été que fulgurante, à l’inverse la rémunération des livreurs n’a jamais cessé de chuter. Sujet prioritaire de l’ensemble des livreurs sur le territoire Français et au cœur des conflits depuis 2014, le calcul de la rémunération reste aujourd’hui extrêmement nébuleuse et controversé.

A travers cet article, Union-Indépendants vous propose de revenir sur la longue histoire de la rémunération des livreurs.

Historique des négociations sur la rémunération

Take It Easy, le précurseur

Fondée en 2013 par Chloé et Adrien Roose, Take Eat Easy est une plateforme belge, spécialisée dans la distribution de repas à vélo. Le principe était simple. Il suffisait de se connecter à la plateforme, de choisir sa ville et son quartier puis commander son repas en fonction des restaurants proposés. Un supplément de 2,50 euros était alors demandé au consommateur, pour la livraison à domicile. Le temps moyen de livraison était estimé à 28 minutes. 

2016, explosion de la livraison et concurrence extrême : 

Une dizaine d'applis de commandes aux restaurants se livrent une guerre féroce depuis des mois. Des bikers aux couleurs de Foodora, Deliveroo, Resto-In et Take Eat Easy envahissent depuis quelques mois les rues et trottoirs de Paris. Ils sont des milliers, chargés d'une même mission: livrer à domicile ou un bureau, en trente minutes, des plats commandés en ligne. Après les attentats du 13 novembre 2015, les Parisiens ont découvert qu'ils pouvaient se faire livrer autre chose que des pizzas et des sushis. Cette concurrence extrême aura notamment la peau de Take It Easy qui, en juillet 2016, est placé en redressement judiciaire et est incapable de paiement les chiffre d’affaires de milliers de livreurs. Certains déclarent une perte de 5000 euros de chiffre d’affaires. 

Depuis 2016, de nombreuses plateformes ont disparu et il ne reste plus en 2024 que 3 plateformes exerçant sur le territoire français : Deliveroo, Stuart et Uber Eats. 

2015-2019 : l’évolution des systèmes de rémunération

La rémunération de Deliveroo de 2015 à 2019

En 2015, la rémunération de Deliveroo était basée sur une rémunération à hauteur de 7,50 euros brut de l’heure à laquelle venait s'ajouter 4 euros brut par commande. Pour travailler chez Deliveroo il fallait s’engager sur des shifts (créneaux horaires) d’une heure. Tout refus de commande était impossible. La commande sonnait sans avoir aucune idée du restaurant et du lieu de livraison. Le livreur devait suivre le GPS pour se rendre au restaurant puis ensuite jusqu’au point de livraison. Les livreurs pouvaient livrer jusqu’à une trentaine de livraisons par jour. 

En 2016, le système de rémunération basé sur un taux horaire et un prix par commande reste le même. Si les 7,50 euros par heure ne bougent pas, le prix de la livraison passe de 4 à 2 euros.

En 2017, Deliveroo va faire disparaître le taux horaire et basculer vers une tarification par course. Les courses sont alors rémunérées 5 euros et 5,75 euros à Paris. Si à Paris, l’afflux de commandes garantissait toujours un chiffre d’affaires important, il était impératif pour les livreurs de caler leur activité sur les shifts. 

En 2019, Uber Eats prend de plus en plus en place sur le marché de la livraison et Deliveroo passe à une tarification dite “dynamique” gérée par des algorithmes illisibles. Cette nouvelle rémunération fait disparaître la rémunération du temps et du kilométrage passé entre l’acceptation de la course et l’arrivée au restaurant. Cette rémunération va faire dégringoler les prix jusqu’à 2,63 € la course dite “minimale”. Les livreurs ont cependant la possibilité de refuser les courses, voir la domiciliation du client et une “tarification spéciale” qui ne durera que quelques mois.

La rémunération de Uber Eats de mars 2016 à septembre 2019  : 

La rémunération Uber Eats était fixée par une grille tarifaire extrêmement simple à comprendre : 

  • Récupération au restaurant : 2,50 euros brut
  • Remise au client : 1 euro brut
  • Prix au kilomètre à Paris : 1,40 euro brut
  • Prix au kilomètre en province : 1,30 euro brut
  • Commission de 25 %

La rémunération de Uber Eats à partir du 25 septembre 2019

UberEats laissera, à l’époque, 15 jours à ses livreurs pour choisir entre l’ancienne et la nouvelle tarification dont la grille tarifaire est la suivante : 

  • Récupération au restaurant : 2 euros brut
  • Remise au client : 1 euro brut
  • Prix au kilomètre à Paris : 0,85 euro brut
  • Prix au kilomètre en province : 0,80 euro brut
  • Commission de 5 %

Que ce soit avant ou après le 25 septembre 2019, l’ensemble de ces tarifs étaient complétés par des majorations aux heures de pointe.

1er Novembre 2023, disparition des grilles et dégringolade de la rémunération chez Uber Eats

Mise en place le 10 octobre sur 3 villes tests puis déployée nationalement le 1er novembre, la nouvelle tarification basée exclusivement sur une formule algorithmique totalement opaque fait varier les courses à la hausse ou à la baisse. On se retrouve avec des courses identiques pouvant varier jusqu’à 35%. Même si UberEats confirme que cette tarification est en faveur des livreurs, une étude menée par Union-Indépendants sur 3100 courses entre le 1er et le 19 novembre montre une perte de chiffre moyen de 2,5% pouvant aller jusqu’à 40%. Depuis, les courses ne cessent de dégringoler ne permettant plus aux livreurs de se dégager un revenu décent.

Les négociation sectorielle dès 2022

Le mandat 2022-2024

Depuis l'entrée en fonction de notre mandat en mai 2022, suite aux élections, nous avons constamment placé la rémunération au cœur de nos revendications, considérant qu'elle est le pilier autour duquel gravitent tous les autres enjeux, de la lutte contre les discriminations à la protection sociale. 

Le deuxième semestre de l'année 2022 a été marqué par des avancées modestes sur différents dossiers, notamment avec la signature d'un accord sur la déconnexion, dont l'effectivité est actuellement à l'étude par l'ARPE, suscitant des inquiétudes quant à son application réelle.

Concernant la rémunération, notre refus de signer l'accord proposant une tarification de 11.75 euros reposait sur notre volonté de parvenir à un accord plus global, prenant en compte l'intégralité du projet de rémunération et introduisant une tarification horokilométrique. Cet accord signé a malheureusement contribué à fermer les discussions sur la rémunération, mettant en veille nos efforts pour négocier des conditions plus justes pour les travailleurs.

Crise de la rémunération

La question de la rémunération des livreurs indépendants est un sujet central depuis des années. C'est dans la volonté de résoudre cette problématique qu’Union-Indépendants milite face aux plateformes dans le cadre du dialogue social.

La situation conflictuelle entre les livreurs et les plateformes de livraison, telles que Uber Eats, Deliveroo et Stuart, a monté en intensité avec l'introduction par Uber Eats, le 1er novembre, d'une nouvelle structure tarifaire. Cette réforme, marquée par son opacité et sa complexité, a entraîné une diminution significative des revenus pour les livreurs, avec des pertes de rémunération allant jusqu'à 40% sur certaines courses. Cette initiative, prise sans consultation préalable des principaux intéressés, a mis en lumière l'urgence d'une révision globale des conditions de rémunération dans le secteur.

Mobilisation des Livreurs

Face à cette détérioration de leurs conditions de travail, Union-Indépendants a interpellé à plusieurs reprises Uber Eats dès le 10 octobre et a exposé les griefs des livreurs lors d'une réunion de négociation le 6 novembre.

C'est dans ce sens que Union a communiqué le 31 Octobre 2023 : "Uber Eats : Union-Indépendants dénonce la réduction drastique et unilatérale de la rémunération des livreurs depuis le 10 octobre.", et a également diffusé un tract "Livreurs : Baisse de notre Rémunération : c'est NON !"

Devant l'absence de réponses satisfaisantes et l'entêtement des plateformes à maintenir leur nouvelle tarification, Union-Indépendants, la CGT et Sud Solidaires ont lancé un appel unitaire à une grève nationale les 2 et 3 décembre. Voir notre communiqué "Union-Indépendants maintient son appel à la grève des livreurs Uber Eats, Deliveroo et Stuart"

Cette mobilisation d'ampleur, soutenue par des milliers de livreurs dans 52 villes de France, visait à réclamer l'abrogation de la tarification "dynamique" de Uber Eats et à exiger des conditions de rémunération plus justes et transparentes pour tous de la part de l’ensemble des plateformes

Réactions et Propositions Post-Mobilisation

L'impact considérable de la mobilisation historique des livreurs en décembre a contraint les plateformes à reconsidérer leur position sur la rémunération. En réponse à cette pression, elles se sont engagées à rouvrir les négociations sur la rémunération et à discuter des propositions formulées par les syndicats, y compris celles d'Union-Indépendants.

Notre proposition porte sur l'instauration d'une rémunération horokilométrique uniforme pour tous les livreurs, intégrant des tarifs spécifiques pour la prise en charge, la dépose, la distance parcourue, ainsi qu'une rémunération supplémentaire pour les livraisons effectuées aux étages. Vous pouvez la retrouver ici.

Propositions des Plateformes le 10 Janvier 2024

Attendues pour revenir avec des propositions concrètes le 10 janvier 2024, les plateformes ont finalement présenté une offre jugée insuffisante par l'ensemble des syndicats, proposant une hausse de la tarification horaire minimale de 11,75€ à 14€, sans prendre en compte les autres aspects des revendications. Face à l'inadéquation de cette proposition avec les attentes exprimées, les représentants syndicaux, indignés, ont quitté la table des négociations.

Nouvelle Séance de Négociation le 02 Février 2024

En dépit de ce désaccord, une nouvelle session de négociation a été programmée pour le 02 février 2024. Au cours de cette réunion, les plateformes ont proposé en plus des 14€ de tarification minimale horaire, une négociation sur la tarification au kilomètre à hauteur de 0,60€, une approche loin de répondre aux attentes globales des livreurs, notamment l'absence de négociation sur une tarification basée sur le temps passé et sur une tarification minimale de prise en charge et de remise au client.

Notre communiqué du 02 Février : Négociations sur la rémunération des livreurs : des propositions toujours insatisfaisantes

Cessation des Négociations et Réaction d'Union-Indépendants

Le 06 février 2024, marquant une régression forte dans le processus de dialogue, les plateformes ont annoncé la fin de toutes discussions sur la rémunération, prétextant l'ouverture d'une expertise.

Cette décision, perçue comme un mépris ouvert des demandes légitimes des livreurs, a été fermement condamnée par Union-Indépendants, soulignant l'urgence d'une reprise immédiate des négociations, sans attendre les résultats de l'expertise en cours.

Retrouver notre communiqué de presse de la situation à ce lien

Le mandat 2024-2028

Les livreurs sont appelés à voter lors d’une nouvelle élection en mai 2024 qui va élire Union-Indépendants à la première place. Avec un programme en faveur de l’indépendance et d’une vraie rémunération, les livreurs ont envoyé un signal fort envers des plateformes qui refusent catégoriquement d’évoquer une rémunération horokilométrique. 

Négociation du 10 décembre : un tournant historique. 

Suite à la persistance par les plateformes de refuser de discuter d’une rémunération horokilométrique, Union-Indépendants refuse de participer à la première de négociation prévue en octobre 2024 et interpelle, en intersyndicale, les ministres du travail et du transports pour forcer les plateformes à accepter de négocier la mise en place d’une rémunération horokilométrique. 

Grâce à l’obstination d’Union-Indépendants, les plateformes vont accepter de discuter de la mise en place d’une garantie minimale horokilométrique lors de la négociation sectorielle du 10 décembre.

Voici le résumé de cette négociation : 

Les Propositions des Plateformes

  1. Garantie minimale horo-kilométrique mensuelle :
    • L’ensemble des courses calculé sur un mois ne pourra jamais être rémunéré en dessous de X€ par km parcouru et Y€ par minute de course.
  2. Temps et kilométrage limités :
    • Seul le temps et le kilomètre effectués durant la course sont pris en compte. L’approche n’est pas incluse.
  3. Doubles et triples commandes :
    • Ces commandes sont rémunérées en fonction du temps et du kilométrage effectués sur l’ensemble des courses.
    • Pas de prise en compte des montées à l’étage.
  4. Données utilisées pour la rémunération :
    • Elles ne sont pas encore tranchées. Est-ce que le livreur sera rémunéré sur la base de ce que prévoit la plateforme ou sur ce qui est effectivement réalisé ?

Les Lignes Rouges des Plateformes

  • Refus de la mise en place d’une grille tarifaire par course
  • Refus d’une rémunération minimale sectorielle pour la prise en charge et la dépose

Ce qui a été acté par la négociation

  1. Une rémunération garantie minimale horo-kilométrique avec la semaine comme période de référence (et non plus le mois). 
  2. Une discussion interne à l’API avec une réponse obligatoire dans un mois sur :
    • La prise en compte de l’ensemble de la course dans la rémunération minimale garantie.
    • Les données utilisées pour la rémunération.

L’Action de Union Indépendants

  1. Prise en compte de l’ensemble de la course :
    • Nous avons réaffirmé que notre ligne rouge est l’inclusion de toute la course (approche et montée aux étages comprises). Il ne pourra pas y avoir d’accord si cela n’est pas pris en compte.
  2. Transparence de la rémunération :
    • Nous avons demandé aux plateformes de travailler sur la transparence, pour que les livreurs puissent contrôler l’application de cette garantie minimale horo-kilométrique.
  3. Exigences renforcées :
    • Nous avons expliqué que si la période d’application reste à la semaine, nos exigences sur les montants par kilomètre et par minute seront très élevées. Nous continuerons de pousser pour une référence à la journée.
  4. Volonté d’amélioration :
    • Nous avons réaffirmé notre objectif d’obtenir une négociation permettant d’améliorer significativement la rémunération des livreurs.
  5. Urgence sociale :
    • Nous avons exigé une accélération de la négociation, compte tenu de l’urgence sociale que subissent les livreurs.

En Résumé

Les plateformes ont enfin accepté une rémunération minimale basée sur le temps et le kilomètre. Ce premier pas vers l’indépendance est une vraie victoire pour les livreurs.

Cependant, d’autres avancées sont indispensables, notamment la prise en compte de l’ensemble de la course dans le calcul de la garantie minimale.

Retour dans la presse de cette négociation :  Dépêche AFP 

Plus d'informations et de détails sur la dernière négociation dans l'article que nous avons rédigé ici

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